Les concepts géopolitiques sont devenus les principaux facteurs
de la politique moderne depuis longtemps. Ils sont construits sur des principes
généraux permettant d’analyser facilement la situation de
chaque pays et de chaque région.
La géopolitique dans sa forme actuelle est indubitablement une
science « terrestre », « profane », sécularisée.
Mais peut-être, parmi toutes les sciences modernes, a-t-elle sauvé
en elle-même le plus grand lien avec la Tradition et avec les
sciences traditionnelles. René Guénon a dit que la chimie
moderne était le résultat de la désacralisation d’une
science traditionnelle – l’alchimie, de même que la physique moderne
l’est de la magie. Exactement de la même manière, on peut
dire que la géopolitique moderne est le produit de la laïcisation
et de la désacralisation d’une autre science traditionnelle – la
géographie sacrée. Mais comme la géopolitique occupe
une place spéciale parmi les sciences modernes, et qu’elle est souvent
classée comme une « pseudo-science », sa désacralisation
n’est pas si complète et irréversible, comme dans le cas
de la chimie ou de la physique. Le lien avec la géographie sacrée
est ici assez distinctement visible. Il est donc possible de dire que la
géopolitique se tient à une place intermédiaire entre
la science traditionnelle (la géographie sacrée) et la science
profane.
Terre et mer
Les deux principaux concepts de la géopolitique sont la terre
et la mer. Seuls ces deux éléments – la Terre et l’Eau –
se trouvent à la racine de la représentation humaine qualitative
de l’espace terrestre. A travers l’expérience de la terre et de
la mer, de la terre et de l’eau, l’homme entre en contact avec les aspects
fondamentaux de son existence. La Terre est stabilité, pesanteur,
fixité, espace en tant que tel. L’Eau est mobilité, douceur,
dynamique, temps.
Ces deux éléments sont par essence la manifestation la
plus évidente de la nature matérielle du monde. Ils se trouvent
à l’extérieur de l’homme : tout est lourd et fluide. Ils
sont aussi à l’intérieur de lui : corps et sang (la même
chose se passe aussi au niveau des cellules).
L’universalité de l’expérience de la terre et de l’eau
génère le traditionnel concept de Firmament, car la présence
des Hautes Eaux (la source de la pluie) dans le ciel implique
aussi la présence d’un élément symétrique
et nécessaire – le monde, la terre, la voûte céleste.
De toutes façons, la Terre, la Mer, l’Océan, sont par essence
les principales catégories de l’existence terrestre, et pour l’humanité
il est impossible de ne pas voir en eux quelques attributs basiques de
l’univers. En tant que les deux termes de base de la géopolitique,
ils conservent leur sens à la fois pour les civilisations traditionnelles
et pour les Etats, les peuples et les blocs idéologiques exclusivement
modernes. Au niveau du phénomène géopolitique mondial,
Terre et Mer ont engendré les termes : thalassocratie et tellurocratie,
c’est-à-dire « la puissance par [la domination de] la mer
» et « la puissance par [la domination de] la terre ».
La force de tous les Etats et de tous les empires est basée sur
le développement préférentiel de l’une de ces catégories.
Les empires sont soit « thalassocratiques », soit « tellurocratiques
». Les premiers impliquent l’existence d’une terre-mère et
de colonies, les seconds d’une capitale et de provinces sur la «
terre ordinaire ». Dans le cas de la « thalassocratie »,
son territoire n’est pas unifié en un seul espace terrestre – ce
qui crée un élément de discontinuité : la mer
– là réside à la fois la force et la faiblesse de
la « puissance thalassocratique ». La « tellurocratie
», inversement, possède la qualité de la continuité
territoriale.
Mais la logique géographique et cosmologique complique immédiatement
le schéma apparemment simple de cette division : la paire «
terre-mer », par surimposition réciproque de ses éléments,
donne naissance aux idées de « terre maritime » et d’«
eau terrestre ». La terre maritime, c’est l’île, c’est-à-dire
la base de l’empire maritime, le pôle de la thalassocratie. L’eau
terrestre ou l’eau à l’intérieur des terres, ce sont les
rivières, qui prédéterminent le développement
des empires terrestres. Juste sur la rivière se trouve la cité,
qui est la
capitale, le pôle de la tellurocratie. Cette symétrie
est à la fois symbolique, économique et géographique.
Il est important de noter que le statut de l’Ile et du Continent est défini
non tant sur la base de leur étendue physique, que sur la base de
la conscience typique, particulière, de la population. Ainsi, la
géopolitique des Etats-Unis a un caractère insulaire, en
dépit de la taille de l’Amérique du Nord, alors que le Japon
insulaire représente géopolitiquement un exemple de mentalité
continentale, etc.
Un autre détail est important : la thalassocratie historique
est liée à l’Ouest et à l’Océan Atlantique,
alors que la tellurocratie est liée à l’Est et au continent
eurasiatique (l’exemple du Japon, mentionné plus haut, est ainsi
expliqué par le plus fort « effet d’attraction » de
l’Eurasie).
La Thalassocratie et l’Atlantisme sont devenus synonymes longtemps avant
l’expansion coloniale de la Grande-Bretagne ou les conquêtes portugaises
et espagnoles. Déjà, dès le début des vagues
migratoires par mer, les peuples de l’Occident et leurs cultures commencèrent
leur mouvement vers l’Est à partir des centres situés dans
l’Atlantique. Les Méditerranéens remontèrent aussi
de Gibraltar vers le Proche-Orient, plutôt que l’inverse. Et au contraire,
les fouilles en Sibérie Orientale et en Mongolie prouvent que c’est
exactement ici que se trouvaient les plus anciens centres de civilisation
– c’est-à-dire que les terres centrales du continent étaient
le berceau de l’humanité euro-asiatique.
Symbolisme du paysage
A coté des deux catégories globales – Terre et Mer
– la géopolitique opère aussi avec des définitions
plus particulières. Parmi les réalités thalassocratiques,
il y a une différenciation entre les formations maritimes et océaniques.
Ainsi, par exemple, les civilisations maritimes de la Mer Noire ou de la
Mer Méditerranée sont assez différentes qualitativement
de la civilisation des océans, c’est-à-dire des puissances
et des peuples insulaires habitant sur les rivages du grand océan.
Des divisions plus particulières existent aussi entre les civilisations
des rivières et des lacs, liées aux continents.
La tellurocratie aussi a ses formes particulières. Ainsi il est
possible de distinguer une civilisation de la Steppe et une civilisation
de la Forêt, une civilisation des Montagnes et une civilisation des
Plaines, une civilisation du Désert et une civilisation de la Glace.
Les variétés de paysages dans la géographie sacrée
sont compris comme des complexes symboliques liés à
la spécificité de l’Etat, de l’idéologie religieuse
et éthique des différents peuples. Et même dans ce
cas, lorsque nous parlons de la religion oecuménique universelle,
sa manifestation concrète dans tel ou tel peuple, race ou Etat,
sera aussi sujette à une adaptation selon le contexte local de la
géographie sacrée.
Le désert et les steppes représentent le microcosme géopolitique
des nomades. C’est précisément dans les déserts et
dans les steppes que la tendance tellurocratique atteint son sommet, car
le facteur « eau » est ici minime. Les empires du Désert
et de la Steppe doivent logiquement être la tête de pont géopolitique
de la tellurocratie.
Comme exemple de l’empire de la Steppe, on peut prendre l’empire de
Gengis Khan, alors qu’un exemple typique de l’empire du Désert est
la Califat arabe, apparu sous l’influence directe des nomades.
Les montagnes et les civilisations des montagnes sont plus souvent archaïques,
fragmentaires. Non seulement les pays de montagnes ne sont pas des sources
d’expansion ; au contraire, ils sont les victimes principales de l’expansion
géopolitique des autres forces tellurocratiques. Aucun empire n’a
son centre dans des régions de montagne. D’où le motif si
fréquent de la géographie sacrée : « les montagnes
sont habitées par les démons ». D’autre part, l’idée
de la conservation des restes des anciennes races et civilisations dans
les montagnes se manifeste dans le fait que c’est précisément
dans les montagnes que les centres sacrés de la tradition sont placés.
Il est même possible de dire que pour les tellurocraties une montagne
correspond à une puissance spirituelle.
La combinaison logique des deux concepts – la montagne en tant qu’image
hiératique et la plaine en tant qu’image royale – a engendré
le symbolisme de la colline, c’est-à-dire une petite ou moyenne
hauteur. La colline est un symbole de la puissance impériale s’élevant
au-dessus du niveau séculier de la steppe, mais n’atteignant pas
la limite du pouvoir suprême (comme dans le cas des montagnes). Une
colline est un lieu d’habitation pour un roi, un comte, un empereur, mais
pas pour un prêtre. Toutes les capitales des grands empires tellurocratiques
sont placés sur une colline ou sur des collines (souvent sur sept
collines – le nombre des planètes ; ou sur cinq – le nombre
des éléments, incluant l’éther ; etc.)
Dans la géographie sacrée, la forêt est proche des
montagnes dans un sens évident. Le symbolisme de l’arbre est lié
au symbolisme de la montagne (tous deux désignent l’axe du
monde). Par conséquent, pour les tellurocraties la forêt
remplit aussi une fonction périphérique – elle est aussi
« le domaine des prêtres » (druides, mages, ermites),
mais aussi en même temps la « demeure des démons »,
c’est-à-dire des résidus archaïques d’un passé
disparu. La zone forestière ne peut pas non plus être le centre
de l’empire terrestre.
La toundra représente l’équivalent nordique de la steppe
et du désert, bien que le climat froid la rende beaucoup moins significative
d’un point de vue géopolitique. Cette « périphéricité
» atteint son apogée avec les glaces qui, comme les montagnes,
sont des zones profondément archaïques. Il est révélateur
que la tradition chamanique eskimo commande de partir seul dans les glaces,
là où s’ouvre le monde de l’au-delà pour le futur
chaman. Ainsi, les glaces sont une zone hiératique, le seuil d’un
autre monde.
A partir de ces caractéristiques principales et très générales
de la carte géopolitique, il est possible de définir les
différentes régions de la planète selon leur qualité
sacrée. Cette méthode peut aussi être appliquée
aux particularités locales du paysage au niveau d’un seul pays ou
même d’une simple région. Il est aussi possible d’expliquer
la ressemblance des idéologies et des traditions des peuples les
plus différents (apparemment), dans le cas où le paysage
des natifs du lieu est le même.
L’Est et l’Ouest dans la géographie sacrée
Dans le contexte de la géographie sacrée, les Points
Cardinaux ont des caractéristiques qualitatives particulières.
Dans les différentes traditions et dans les différentes périodes
de ces traditions, l’image de la géographie sacrée peut varier
selon les phases cycliques de développement d’une tradition donnée.
Ainsi la fonction symbolique des Points Cardinaux varie souvent aussi.
Sans entrer dans les détails, il est possible de formuler la loi
la plus universelle de la géographie sacrée concernant l’Est
et l’Ouest.
La géographie sacrée, sur la base du « symbolisme
spatial », considère traditionnellement l’Orient comme la
« terre de l’Esprit », la terre du Paradis, la terre de la
plénitude, de l’abondance, le « pays sacré des origines
», dans sa forme la plus complète et la plus parfaite. En
particulier, cette idée se reflète dans la Bible, où
la situation orientale de l’« Eden » est mentionnée.
Précisément, cette compréhension est également
propre aux autres traditions abrahamiques (islam et judaïsme), et
aussi à de nombreuses traditions non-abrahamiques – la chinoise,
l’hindoue et l’iranienne. « L’Orient est la demeure des dieux »,
dit la formule sacrée des anciens Egyptiens, et le même mot
« orient » (« neter » en égyptien) signifie
en même temps « dieu ». Du point de vue du symbolisme
naturel, l’Orient est le lieu où se lève, « vos-tekeat
» [en russe] le soleil, Lumière du Monde, symbole matériel
de la Divinité et de l’Esprit.
L’Occident a la signification symbolique inverse. C’est le « pays
de la mort », le « monde sans vie », le « pays
vert » (comme l’appelaient les anciens Egyptiens). L’Occident est
« l’empire de l’exil », le « gouffre des damnés
», selon l’expression des mystiques musulmans. L’Occident est l’«
anti-Orient », le pays de la « zakata » [en russe], de
la décadence, de la dégradation, de la transition du manifesté
au non-manifesté, de la vie à la mort, de la plénitude
au besoin, etc. L’Occident [Zapad, en russe] est le lieu où se dirige
le soleil, où il « s’engloutit » [za-padaiet].
C’est selon cette logique convenue du symbolisme cosmique naturel que
les anciennes traditions organisaient leur « espace sacré
», fondaient leurs centres de culte, leurs lieux funéraires,
leurs temples et leurs édifices, et qu’ils interprétaient
les caractères naturels et « civilisationnels » des
territoires géographiques, culturels ou politiques de la planète.
De cette manière, la structure même des migrations, des guerres,
des campagnes [militaires], des vagues démographiques, des
constructions d’empires, etc., était définie par la logique
originelle, pragmatique, de la géographie sacrée. Le long
de l’axe Orient-Occident s’étiraient les peuples et les civilisations
possédant des traits hiérarchiques – plus près de
l’Orient se trouvaient ceux qui étaient plus proches du Sacral,
de la Tradition, de la richesse spirituelle. Plus près de l’Occident,
ceux qui avaient un esprit plus décadent, plus dégradé
et agonisant.
Bien sûr, cette logique n’était pas absolue, mais en même
temps elle n’était ni mineure ni relative – comme elle est aujourd’hui
erronément considérée par de nombreux spécialistes
des anciennes religions et traditions. En matière de faits, la logique
sacrée et le symbolisme cosmique qui s’ensuit étaient perçus,
compris et pratiqués par les anciens peuples plus consciemment qu’ils
ne sont estimés aujourd’hui. Et même dans notre monde anti-sacré,
à un niveau « inconscient », les archétypes de
la géographie sacrée ont presque toujours été
préservés dans leur intégrité, et se réveillent
dans les moments les plus importants et les plus critiques des cataclysmes
sociaux.
Ainsi la géographie sacrée affirme d’une seule voix la
loi de l’« espace qualitatif », dans lequel l’Orient représente
« l’ontologique plus » symbolique, et l’Occident « l’ontologique
moins ». D’après la tradition chinoise, l’Orient est Yang,
le principe mâle, brillant, solaire, et l’Occident est Yin,
le principe femelle, sombre, lunaire.
L’Est et l’Ouest dans la géopolitique moderne
Nous observerons comment cette logique de la géographie sacrée
se reflète dans la géopolitique, qui, étant une science
exclusivement moderne, se concentre seulement sur la situation factuelle,
laissant de coté les principes les plus sacrés.
Dans les formulations originelles faites par Ratzel, Kjellen et Mackinder
(et plus tard par Haushofer et les eurasistes russes), la géopolitique
s’abstenait juste de relier les traits des différentes sortes de
civilisations et d’Etats à leur position géographique. Les
géopoliticiens se fixaient sur le fait d’une différence
fondamentale entre les peuples « insulaires » et « continentaux
», entre la civilisation « occidentale », « progressiste
», et les formes culturelles « orientales », «
despotiques » et « archaïques ». Comme en général
la question de l’Esprit dans son sens métaphysique et sacré
ne se posait jamais dans la science moderne, les géopoliticiens
la laissaient de coté, préférant évaluer la
situation en termes différents, plus modernes, plutôt
que par les concepts de « sacré » et de « profane
», de « traditionnel » et d’« anti-traditionnel
», etc.
Les géopoliticiens ont établi les principales différences
de développement politique, culturel et industriel entre l’Orient
et l’Occident durant les derniers siècles. Le tableau final est
le suivant. L’Occident est le centre du développement « matériel
» et « technologique ». Au niveau culturel-idéologique,
les tendances « libérales-démocrates », les visions-du-monde
individualistes et humanistes prévalent. Au niveau économique,
la priorité est donnée au commerce et à la modernisation
technique. C’est en Occident que les théories sur le « progrès
», l’« évolution », le « développement
progressiste de l’histoire » sont apparues pour la première
fois, complètement étrangères au monde oriental traditionnel
(et aussi à ces périodes de l’histoire occidentale durant
lesquelles une tradition sacrée rigoureuse existait là aussi
– comme cela fut le cas, en particulier, au Moyen-Age). La contrainte sur
le plan social en Occident a acquis seulement un caractère économique,
et la Loi de l’Idée et de la Force a été progressivement
remplacée par la Loi de l’Argent. Progressivement une « idéologie
occidentale » particulière s’est exprimée par la formule
universelle de « l’idéologie des droits de l’homme »,
qui est devenue un principe dominant dans les régions les plus occidentales
de la planète – l’Amérique du Nord, et avant tout les Etats-Unis.
Sur le plan industriel, à cette idéologie a correspondu l’idée
de « pays développés », et sur le plan économique,
le concept de « libre-échange », de « libéralisme
économique ». La somme totale de ces caractères,
avec l’addition de l’intégration purement militaire, stratégique,
des différents secteurs de la civilisation occidentale, est aujourd’hui
définie par le concept d’« atlantisme ». Au siècle
dernier, les géopoliticiens parlaient d’une « forme anglo-saxonne
de civilisation » ou de la « démocratie capitaliste
bourgeoise ». Dans ce type « atlantiste », la formule
de l’« Occident géopolitique » a trouvé sa plus
pure incarnation.
L’Orient géopolitique représente par lui-même l’exacte
opposition à l’Occident géopolitique. A la place de la modernisation
économique, ici (dans les pays « moins développés
») les modes de production traditionnels, archaïques, du type
collectif, manufacturé, prévalent. A la place de la
contrainte économique, l’Etat utilise plus souvent la contrainte
« morale » ou simplement la contrainte physique (Loi
de l’Idée et Loi de la Force). A la place de la « démocratie
» et des « droits de l’homme », l’Orient gravite autour
du totalitarisme, du socialisme et de l’autoritarisme, c’est-à-dire
autour de divers types de régimes sociaux, dont le seul trait
commun est que le centre de ces systèmes n’est pas ici l’«
individu », « l’homme avec ses « droits » et ses
« valeurs individuelles » particulières, mais quelque
chose de supra-individuel, de supra-humain – que ce soit la «
société », la « nation », le « peuple
», l’« idée », la « weltanschauung
», la « religion », le « culte du chef »,
etc. L’Orient a opposé à la démocratie libérale
occidentale les types les plus variés des sociétés
non-libérales, non- individualistes – de la monarchie autoritaire
à la théocratie ou au socialisme. De plus, d’un point de
vue purement typologique, géopolitique, la spécificité
politique de tel ou tel régime était secondaire en comparaison
avec la division qualitative entre l’ordre « occidental » (
= « individualiste-mercantile ») et l’ordre « oriental
» ( = « supra-individualiste-basé sur la force »).
Des formes représentatives d’une telle civilisation anti-occidentale
ont été l’URSS, la Chine communiste, le Japon jusqu’en 1945
ou l’Iran de Khomeyni.
Il est curieux de noter que Rudolf Kjellen, le premier auteur à
utiliser le terme « géopolitique », illustra la différence
entre l’Occident et l’Orient de cette manière : « Une formule
typique des Américains – écrivait Kjellen – est ‘go ahead’,
qui signifie littéralement ‘aller de l’avant’. En elle se reflète
l’optimisme et le ‘progressisme’ géopolitiques intérieurs
et naturels de la civilisation américaine, qui est la forme extrême
du modèle occidental. Les Russes répètent habituellement
le mot ‘nitchevo’ [rien] (en russe dans le texte de Kjellen – A.D.). En
lui se manifestent le ‘pessimisme’, la ‘contemplation’, le ‘fatalisme’
et ‘l’adhésion à la tradition’, tous des traits particuliers
à l’Orient ».
Si nous revenons maintenant au paradigme de la géographie sacrée,
nous verrons la contradiction directe entre les priorités de la
géopolitique moderne (des concepts comme le « progrès
», le « libéralisme », les « droits de l’homme
», « l’ordre marchand », etc., sont aujourd’hui des termes
positifs pour la majorité des gens) et les priorités de la
géographie sacrée, évaluant les différentes
sortes de civilisation depuis un point de vue complètement opposé
(des concepts comme « l’esprit », la « contemplation
», la « résignation à la force supra-humaine
ou à l’idée supra-humaine », « l’idéocratie
», etc., étaient exclusivement positifs dans les civilisations
sacrées, et le restent encore aujourd’hui pour les peuples orientaux
au niveau de « l’inconscient collectif »). Ainsi la géopolitique
moderne (excepté pour les eurasistes russes, les disciples allemands
de Haushofer, les fondamentalistes islamistes) évalue l’image du
monde depuis une perspective opposée à celle de la géographie
sacrée traditionnelle. Mais ainsi les deux sciences convergent dans
la description des lois fondamentales de l’image géographique des
civilisations.
Nord sacré et Sud sacré
A coté du déterminisme de la géographie sacrée
sur un axe Est-Ouest, un problème extrêmement important est
représenté par l’autre axe d’orientation, vertical, l’axe
Nord-Sud. Ici, ainsi que dans tous les autres cas, les principes de la
géographie sacrée, le symbolisme des points cardinaux
et des continents associés, ont leur équivalent direct dans
l’image géopolitique du monde, qui est soit formée naturellement
au cours du processus historique, soit formée consciemment et artificiellement
en résultat d’actions volontaires des dirigeants de telle ou telle
entité géopolitique. Du point de vue de la « tradition
intégrale », la différence entre « artificiel
» et « naturel » est généralement assez
relative, puisque la Tradition n’a jamais connu quelque chose de similaire
au dualisme cartésien ou kantien, séparant strictement le
« subjectif de l’« objectif » (le « phénoménal
» et le « nouménal »). Le déterminisme
sacré du Nord ou du Sud n’est ni seulement un facteur paysager-climatique,
physique, naturel (c’est-à-dire quelque chose d’« objectif
»), ni seulement une « idée », un «
concept », généré par l’esprit de tel ou tel
individu (c’est-à-dire quelque chose de « subjectif »),
mais quelque chose d’un troisième genre, dépassant à
la fois les pôles objectifs et subjectifs. On peut dire que le Nord
sacré, l’archétype du Nord, se divise dans l’Histoire entre
le paysage naturel nordique, d’une part, et entre l’idée du Nord,
le « nordicisme », d’autre part.
Les strates les plus anciennes et les plus originelles de la Tradition
affirment la primauté du Nord sur le Sud. La symbolique du
Nord est reliée à une source, à un paradis nordique
originel, d’où provient toute la civilisation humaine. Les anciens
textes iraniens et zoroastriens parlent du pays nordique de l’« Aryanem
Vaejo » et de sa capitale « Vara », d’où
les anciens Aryens furent chassés par la glaciation, qui leur fut
envoyée par Ahriman, Esprit du Mal et adversaire du lumineux Ormudz.
L’ancien Veda aussi parle d’un pays nordique comme foyer ancestral des
Hindous, d’une Sveta-Dvipa, une Terre Blanche située dans
le nord lointain.
Les anciens Grecs parlaient d’Hyperborée, l’île nordique
avec sa capitale Thulé. Ce pays était considéré
comme la patrie du dieu lumineux Apollon. Et dans de nombreuses autres
traditions il est possible de détecter des traces anciennes, souvent
oubliées et devenues fragmentaires, d’un symbolisme nordique. L’idée
de base traditionnellement liée au Nord est l’idée du Centre,
du Pôle Immobile, le point d’Eternité autour duquel le cycle
tourne, pas seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Le Nord est
la terre où le soleil ne se couche jamais, même la nuit, un
espace de lumière éternelle. Toutes les traditions sacrées
honorent le Centre, le Milieu, le point où les contrastes
s’apaisent, le lieu symbolique échappant aux lois de l’entropie
cosmique. Ce Centre, dont le symbole est le svastika (soulignant à
la fois l’immobilité et la constance du Centre, et la mobilité
et le caractère changeant de la périphérie), a reçu
un nom différent dans chaque tradition, mais il a toujours été
directement et indirectement lié au symbolisme du Nord. Il est donc
possible de dire que toutes les traditions sacrées sont en essence
la projection d’une Unique Tradition Primordiale Nordique adaptée
à des conditions historiques différentes. Le Nord est le
Point Cardinal choisi par le Logos primordial pour pouvoir se révéler
dans l’Histoire, et chacune de ses manifestations ultérieures ne
fait que restaurer ce symbolisme primordial du paradis polaire.
La géographie sacrée associe le Nord à l’esprit,
à la lumière, à la pureté, à la plénitude,
à l’unité, à l’éternité.
Le Sud symbolise quelque chose de directement opposé – la matérialité,
l’obscurité, le mélange, la privation, la pluralité,
l’immersion dans le flux du temps et du devenir. Même d’un point
de vue naturel, dans les régions polaires il y a un seul long Jour
semi-annuel, et une seule longue Nuit semi-annuelle. Ce sont le Jour et
la Nuit des dieux et des héros, des anges. Même les traditions
dégradées se souvenaient de ce Nord cardinal, sacral, spirituel,
surnaturel, considérant les régions nordiques comme la demeure
des « esprits » et des « forces de l’au-delà ».
Dans le Sud, le Jour et la Nuit des dieux sont fragmentés en une
quantité de jours humains, le symbolisme originel de l’Hyperborée
est perdu, et son souvenir devient un objet de « culture »,
de « légende ». Le Sud correspond généralement
à la culture, c’est-à:-dire à cette sphère de
l’activité humaine où l’Invisible et le Purement spirituel
acquièrent des traits matériels, solidifiés, visibles.
Le Sud est le règne de la substance, de la vie, de la biologie et
des instincts. Le Sud corrompt la pureté nordique de la Tradition,
mais préserve ses vestiges dans des traits matérialisés.
Dans la géographie sacrée, la paire Nord-Sud n’est pas
réduite à une opposition abstraite entre le Bien et
le Mal. Elle représente plutôt l’opposition à l’Idée
Spirituelle, sous une forme grossière, matérielle. Dans les
situations normales, quand la primauté du Nord est reconnue par
le Sud, entre ces deux parties de la lumière existe une relation
harmonieuse – le Nord « spiritualise » le Sud, les messagers
nordiques apportent la Tradition aux gens du Sud, posent les fondations
des civilisations sacrées. Si le Sud ne reconnaît pas la primauté
du Nord, la lutte sacrée, la « guerre des continents »
commence, et du point de vue de la Tradition le Sud est responsable de
ce conflit, ayant violé les règles sacrées. Dans le
Ramayana, par exemple, l’île Lanka au sud est considérée
comme la demeure des démons qui ont enlevé Sita, l’épouse
de Rama, et déclaré la guerre au Nord continental avec sa
capitale Ayodya.
Ainsi il est important de noter que dans la géographie sacrée,
l’axe Nord-Sud est plus important que l’axe Est-Ouest. Mais étant
le plus important, il correspond aux plus anciennes phases de l’histoire
cyclique. La grande guerre du Nord et du Sud, Hyperborée et Gondwana
(l’ancien paléo-continent du Sud) se réfèrent à
des temps « antédiluviens ». Dans les dernières
phases du cycle, il devient plus dissimulé, voilé. Les paléo-continents
du Nord et du Sud eux-mêmes disparaissent. Le signe visible de l’opposition
est passé à l’Est et à l’Ouest.
Le déplacement de l’axe vertical Nord-Sud à l’axe horizontal
Est-Ouest, typique des dernières phases du cycle, préserve
néanmoins le lien logique et symbolique entre ces deux paires de
la géographie sacrée. La paire Nord-Sud (c’est-à-dire
Esprit-Matière, Eternité-Temps) est projetée sur la
paire Est-Ouest (c’est-à-dire la Tradition et le Profane, l’Origine
et le Déclin). L’Est est la projection horizontale et vers le bas,
du Nord. L’Ouest, la projection horizontale et vers le haut, du Sud. D’un
tel transfert des significations sacrées on peut aisément
obtenir la structure de la vision continentale particulière
à la Tradition.
L’homme du Nord
Le Nord sacré définit un type humain particulier, qui peut
avoir une forme biologique, raciale, mais qui peut aussi ne pas l’avoir.
La substance du « nordicisme » consiste en la capacité
de l’homme à élever chaque objet du monde physique, matériel,
jusqu’à son archétype, jusqu’à son Idée. Cette
qualité n’est pas un simple développement d’origine rationnelle.
Inversement, le « pur intellect » cartésien et kantien,
par sa nature, n’est pas capable de franchir l’étroite frontière
entre le « phénomène » et le « noumène
» – mais cette simple capacité se trouve à la base
de la pensée « nordique ». L’homme du Nord n’est pas
simplement blanc, « aryen » ou indo-européen par son
sang, sa langue et sa culture. L’homme du Nord est un être particulier
possédant une intuition directe du Sacré. Pour lui le Cosmos
est une texture de symboles, chacun d’entre eux étant tiré
hors du secret par l’œil du Principe Primordial spirituel. L’homme du Nord
est « l’homme solaire », Sonnenmensch, n’absorbant pas l’énergie,
comme le font les trous noirs, mais la générant, diffusant
la lumière, la force et la sagesse depuis son flux de création
spirituel.
La pure civilisation nordique a disparu avec les anciens Hyperboréens,
mais ses messagers ont posé les bases de toutes les traditions
actuelles. Cette « race » nordique des Maîtres est
à l’origine de la religion et de la culture des peuples de tous
les continents et de toutes les couleurs de peau. Des traces d’un culte
hyperboréen peuvent être trouvées chez les Indiens
d’Amérique du Nord et chez les anciens Slaves, chez les fondateurs
de la civilisation chinoise et chez les indigènes du Pacifique,
chez les Allemands blonds et chez les chamans noirs d’Afrique de l’Ouest,
chez les Aztèques à peau rouge et chez les Mongols aux pommettes
saillantes. Il n’y a pas de peuple sur la planète qui ne possède
de mythe sur « l’homme solaire », Sonnenmensch. La vraie
spiritualité, la pensée supra-rationnelle, le Logos divin,
la capacité à voir à travers le monde son Âme
secrète – voilà les qualités particulières
du Nord. Partout où sont la Pureté et la Sagesse sacrées,
se trouve invisiblement le Nord – quel que soit le point où
nous sommes dans le temps ou dans l’espace.
L’homme du Sud
L’homme du Sud, le type gondwanique, est directement opposé au type
« nordique ». L’homme du Sud vit dans un cercle d’effets, de
manifestations secondaires ; il habite dans le cosmos, qu’il vénère
mais ne comprend pas. Il adore l’extériorité, mais non l’intériorité.
Il préserve soigneusement des traces de spiritualité, sa
mise en forme dans l’environnement matériel, mais n’est pas capable
de passer du symbolisant au symbolisé. L’homme du Sud vit
par passions et par ruées, il place le psychique au-dessus du spirituel
(qu’il ne connaît simplement pas) et adore la Vie comme une autorité
supérieure. Le culte de la Grande Mère, de la matière
générant la variété des formes, est typique
de l’homme du Sud. La civilisation du Sud est une civilisation de la Lune
recevant la lumière du Soleil (le Nord), la préservant
et la diffusant pendant un certain temps, mais perdant périodiquement
le contact avec elle (la nouvelle lune). L’homme du Sud est un Mondmensch
[homme lunaire].
Quand les hommes du Sud restent en harmonie avec les hommes du Nord
; c’est-à-dire quand ils reconnaissent leur autorité et leur
supériorité typologique (et non raciale !), l’harmonie
règne parmi les civilisations. Lorsqu’ils revendiquent la suprématie
à cause de leur relation archétypale avec la réalité,
alors surgit un type culturel dévié, qui peut être
globalement défini par l’adoration des idoles, du fétichisme
ou du paganisme (au sens négatif, péjoratif, de ce
mot).
De même que les paléo-continents, les purs types «
nordique » et « suddéen » existaient seulement
dans des temps anciens et reculés. L’homme du Nord et l’homme du
Sud s’opposaient l’un à l’autre à l’origine. Plus tard, tous
les hommes du Nord pénétrèrent dans les terres
du Sud, fondant parfois de brillantes expressions de la civilisation «
nordique » – l’ancien Iran, l’ancienne Inde. D’autre part, ceux du
Sud allèrent quelquefois loin au Nord, apportant leur type culturel
– Finnois, Eskimos, Tchoutches, etc. Progressivement, la clarté
originelle du panorama de la géographie sacrée se brouilla.
Mais malgré tout, le dualisme typologique de « l’homme du
Nord » et de « l’homme du Sud » fut préservé
en tous temps et à toutes époques – mais pas tant comme un
conflit externe entre deux civilisations distinctes que comme un conflit
interne à l’intérieur du cadre de la même civilisation.
Le type du Nord et le type du Sud, depuis un certain moment de l’histoire
sacrée, s’opposent partout l’un à l’autre, quel que soit
l’endroit concret sur la planète.
Le Nord et le Sud dans l’Est et dans l’Ouest
Le type de l’homme du Nord peut être projeté au Sud, à
l’Est ou à l’Ouest. Au Sud, la Lumière du Nord généra
de grandes civilisations métaphysiques, telles que l’indienne, l’iranienne
ou la chinoise, qui, dans la situation du Sud « conservateur »,
sauvèrent pour longtemps la Révélation qui leur avait
été confiée. Cependant, la simplicité et la
clarté du symbolisme « nordique » se transformèrent
ici en un enchevêtrement complexe et varié de doctrines, de
sacrements et de rites sacrés. Toutefois, plus on va vers le Sud,
plus les traces du Nord sont faibles. Et parmi les habitants des
îles du Pacifique et chez ceux d’Afrique du Sud, les motifs «
nordiques » dans la mythologie et les rituels ont été
préservés sous une forme extrêmement fragmentaire,
rudimentaire et même déformée.
Dans l’Est, le Nord se manifeste dans la société traditionnelle
classique, fondée sur la supériorité univoque du supra-individuel
sur l’individuel, où « l’humain » et le « rationnel
» s’effacent devant le Principe supra-humain et supra-rationnel.
Si le Sud donne à la civilisation un caractère de «
stabilité », l’Est définit sa sacralité et son
authenticité, le meilleur garant de ce qu’est la Lumière
du Nord.
Dans l’Ouest, le Nord s’est manifesté dans les sociétés
héroïques, où la tendance propre à l’Occident,
à la fragmentation, à l’individualisation et à la
rationalisation, se surpassait elle-même, et l’individu, devenant
le Héros, échappait au cadre étroit de la personnalité
« humaine – trop humaine ». Le Nord, dans l’Ouest, est personnifié
par la figure symbolique d’Héraklès qui, d’une part, délivre
Prométhée (la pure tendance occidentale, titanique, «
humaniste ») et d’autre part, aide Zeus et les dieux à vaincre
la rébellion des géants (c’est-à-dire sert les règles
sacrées et l’Ordre spirituel).
Le Sud, au contraire, se projette sur les trois autres orientations,
selon une image opposée. Dans le Nord, cela donne l’effet de l’«
archaïsme » et de la stagnation culturelle. Même
les traditions les plus au Nord, les plus « nordiques », qui
sont sous l’influence du Sud, les éléments « paléo-asiatiques
», « finnois » ou « eskimos » acquièrent
les traits d’« adoreurs d’idoles » et du « fétichisme
» (cela est caractéristique, en particulier, de la civilisation
scandinave-germanique à l’« époque des Skaldes »).
Dans l’Est, les forces du Sud se manifestent dans les sociétés
despotiques, où l’indifférence orientale pour l’individu,
normale et modérée, se transforme en la négation du
grand Sujet supra-humain. Toutes les formes du totalitarisme oriental,
à la fois typologique et racial, sont liées au Sud.
Et finalement, dans l’Ouest, le Sud se manifeste par des formes d’individualisme
extrêmement rudes et matérialistes, quand les individus atomisés
atteignent la limite de la dégénérescence anti-héroïque,
n’adorant plus que le « veau d’or » du confort et de l’hédonisme
égoïste. Il est évident que cette combinaison exacte
des deux tendances de la géographie sacrée donnent
le type le plus négatif de la civilisation, puisqu’en elle deux
attitudes déjà négatives en elles-mêmes – le
Sud sur la ligne verticale et l’Ouest sur la ligne horizontale – sont superposées
l’une sur l’autre.
Des continents aux méta-continents
Si, dans la perspective de la géographie sacrée, le Nord
symbolique correspond toujours aux aspects positifs, et le Sud aux négatifs,
dans l’image géopolitique exclusivement moderne du monde tout
est beaucoup plus complexe, et même inversé dans une certaine
mesure. La géopolitique moderne comprend les termes «
Nord » et « Sud » comme des catégories complètement
différentes de celles de la géographie sacrée.
Premièrement, le paléo-continent du Nord, Hyperborée,
n’existe plus sur un plan physique depuis déjà de nombreux
millénaires, demeurant une réalité spirituelle, vers
laquelle est dirigée le regard spirituel de l’initié à
la recherche de la Tradition perdue.
Deuxièmement, l’ancienne race nordique, la race des « blancs
Maîtres », associée au pôle à l’époque
primordiale, ne coïncide pas du tout avec ce qui est aujourd’hui communément
appelé « race blanche », basée seulement sur
les traits physiques, sur la couleur de la peau, etc. La Tradition Nordique
et sa population d’origine, les « autochtones nordiques »,
ne représentent plus, depuis longtemps, une réalité
historico-géographique concrète. De toute évidence,
même les derniers vestiges de cette culture primordiale ont disparu
de la réalité physique depuis déjà quelques
millénaires.
Ainsi, dans la Tradition le Nord est une réalité méta-historique
et méta-géographique. La même chose peut être
dite aussi de la « race hyperboréenne » – une «
race » non pas dans un sens biologique, mais dans un sens purement
spirituel, métaphysique (ce thème des « races
métaphysiques » a été développé
en détails dans les travaux de Julius Evola).
De même, le continent du Sud et tout le Sud de la Tradition n’existent
plus depuis longtemps à l’état pur, pas plus que sa population
la plus ancienne. D’une manière ou d’une autre, à partir
d’un certain moment le « Sud » s’est étendu pratiquement
à toute la planète, alors que l’influence du centre initiatique
polaire originel et de ses messagers dans le monde diminuait. Les races
modernes du Sud représentent les produits de mélanges multiples
avec les races du Nord, et la couleur de la peau a cessé depuis
déjà longtemps d’être le signe distinctif de l’appartenance
à telle ou telle « race métaphysique ».
En d’autres mots, l’image géopolitique moderne du monde a peu
en commun avec la vision du monde principielle dans sa forme supra-historique,
méta-temporelle. A notre époque, les continents et
leurs populations se sont extrêmement éloignés de ces
archétypes, qui correspondent pour eux aux temps primordiaux. Par
conséquent, entre les continents réels et les races
réelles (les réalités de la géopolitique moderne)
d’une part, et les méta-continents et les méta-races (les
réalités de la géographie sacrée traditionnelle)
d’autre part, existe aujourd’hui pas seulement une simple divergence, mais
presque une correspondance inverse.
L’illusion du « Nord riche »
La géopolitique moderne utilise le concept de « nord »
très souvent associé à la définition
de « riche » – le « Nord riche », et aussi le «
Nord avancé ». Cela résume toute la civilisation occidentale,
accordant principalement son attention au développement du coté
matériel et économique de la vie. Le « Nord riche »
est riche non parce qu’il est plus habile, ou plus intellectuel, ou plus
spirituel que le « Sud » mais parce qu’il construit son système
social sur le principe de la maximisation du matériel qui peut être
tiré du potentiel social et naturel, par l’exploitation des ressources
humaines et naturelles. L’image raciale du « Nord riche » est
associée à ces hommes ayant la peau blanche, et ce trait
se trouve à la racine des différentes versions, explicites
ou cachées, du « racisme occidental » (en particulier
anglo-saxon). Le succès du « Nord riche » dans
le domaine matériel a été élevé au niveau
d’un principe politique et même « racial » dans ces pays
qui étaient à l’avant-garde du développement industriel,
technique et économique – c’est-à-dire l’Angleterre, la Hollande,
et plus tard l’Allemagne et les Etats-Unis. Dans ce cas, le bien-être
matériel et quantitatif fut identifié à un critère
qualitatif, et sur cette base se développèrent les plus ridicules
préjugés contre la « barbarie », les «
primitifs », le « sous-développement » et l’«
untermenschlichkeit » des hommes du Sud (c’est-à-dire
n’appartenant pas au « Nord riche »). Un tel « racisme
économique » se manifesta clairement dans les conquêtes
coloniales anglo-saxonnes, et plus tard sa version « améliorée
» fut introduite dans les aspects les plus grossiers et les
plus contradictoires de l’idéologie nationale-socialiste. Ainsi,
les idéologues nazis mélangeait fréquemment de vagues
conjectures sur le pur « nordicisme » spirituel et la «
race aryenne spirituelle » avec du racisme vulgaire, mercantile,
biologique, de type anglais (à ce propos, c’est précisément
ce remplacement des catégories de la géographie sacrée
par les catégories du développement matériel et technique
qui fut aussi le coté le plus négatif du national-socialisme,
et qui le conduisit finalement à son effondrement politique, théorique
et même militaire). Mais même après la défaite
du Troisième Reich, cette variété de racisme du «
Nord riche » n’a pas du tout disparu de la vie politique. Et ses
représentants devinrent avant tout les Etats-Unis et leurs
partenaires atlantistes en Europe de l’Ouest. Certainement, dans les doctrines
mondialistes les plus récentes du « Nord riche », la
question de la pureté biologique et raciale n’est pas évoquée,
mais cependant, en pratique, dans ses relations avec les pays non-développés
et moins développés du Tiers-Monde, le « Nord riche
» manifeste aujourd’hui encore une arrogance « raciste »,
typique à la fois des colonialistes anglais et des fidèles
partisans allemands nationaux-socialistes de Rosenberg.
En fait, le « Nord riche » désigne géopolitiquement
ces pays où les forces directement opposées à la Tradition
l’ont emporté – les forces de la quantité, du matérialisme,
de l’athéisme, de la dégradation spirituelle et de la dégénérescence
émotionnelle. Le « Nord riche » signifie quelque chose
de radicalement distinct du « nordicisme spirituel », de «
l’esprit hyperboréen ». L’essence du Nord dans la géographie
sacrée est la primauté de l’esprit sur la matière,
la victoire définitive et totale de la Lumière, de l’Equité
et de la Pureté sur les ténèbres de la vie animale,
de l’arrogance des passions individuelles et de la boue du vil égoïsme.
La géopolitique mondialiste du « Nord riche », au contraire,
signifie exclusivement le bien-être matériel, l’hédonisme,
la société de consommation, le pseudo-paradis aseptisé
et artificiel de ceux que Nietzsche a appelé « le dernier
homme ». Le progrès matériel de la civilisation technique
s’est accompagné d’une monstrueuse régression spirituelle
de la culture sacrée, et par conséquent, du point de vue
de la Tradition, la « richesse » du Nord « avancé
» moderne ne peut pas servir de critère de véritable
supériorité sur la « pauvreté »
matérielle et l’arriération technique du « Sud primitif
» moderne.
De plus, la « pauvreté » matérielle du Sud
est très souvent inversement liée à la préservation
dans les régions du Sud des formes de civilisation authentiquement
sacrées ; cela signifie qu’une richesse spirituelle se dissimule
parfois derrière cette « pauvreté ». Au moins
deux civilisations sacrées existent encore aujourd’hui dans l’espace
du Sud, en dépit de toutes les tentatives du « Nord riche
» (et agressif !) pour imposer à tout le monde sa propre mesure
et sa propre voie de développement. Ce sont l’Inde hindouiste et
le monde islamique. Concernant la tradition de l’Extrême-Orient,
il existe différents points de vue : certains aperçoivent
même, sous la couche de rhétorique « marxiste »
et « maoïste » quelques principes traditionnels, qui furent
toujours incontestés dans la civilisation sacrée chinoise.
De toutes manières, même ces régions du Sud habitées
par des gens conservant leur dévotion à des traditions sacrées
très anciennes et presque oubliées, toutes semblables en
comparaison avec le « Nord riche » athée et complètement
matérialiste, exhibent des traits « spirituels », «
rigoureux » et « normaux » – alors que le « Nord
riche », d’un point de vue spirituel, est complètement «
anormal » et « pathologique ».
Le paradoxe du « Tiers-Monde »
Dans les projets mondialistes, le « Sud pauvre » est en fait
synonyme de « Tiers-Monde ». Ce monde était appelé
« Tiers » [ = Troisième] pendant la guerre froide, et
ce concept supposait que les deux autres « mondes » – le monde
capitaliste avancé et le monde soviétique moins avancé
– étaient plus importants et significatifs pour la géopolitique
mondiale que toutes les autres régions. A la base, l’expression
« Tiers-Monde » a un sens péjoratif : selon la logique
utilitaire du « Nord riche », cette définition identifie
réellement les pays du « Tiers-Monde » à
des zones de ressources naturelles et humaines n’appartenant à personne,
qui doivent seulement obéir, être exploitées et être
utilisées pour leur seul rendement. Ainsi le « Nord riche
» utilisa habilement les traits traditionnels politico-idéologiques
et religieux du « Sud pauvre », tentant d’asservir pour ses
fins exclusivement matérialistes et économiques ces forces
et ces structures qui, par le potentiel spirituel dépassaient de
loin le niveau spirituel du « Nord ». Cela lui fut presque
toujours possible car le moment cyclique de développement de notre
civilisation favorise les tendances perverties, anormales et non-naturelles
– puisque, d’après la Tradition, nous sommes maintenant dans la
période finale de « l’Age Sombre », le Kali-Yuga.
L’hindouisme, le confucianisme, l’islam, les traditions autochtones des
peuples « non-blancs » devinrent pour les conquérants
matériels du « Nord riche » un simple obstacle à
l’accomplissement de leurs objectifs, mais en même temps ils utilisèrent
souvent les différents aspects de la Tradition pour atteindre leurs
buts mercantiles – en exploitant les contradictions, les traits religieux
ou les problèmes nationaux. Un tel usage utilitaire des différents
aspects de la Tradition pour des buts exclusivement anti-traditionnels
fut même un mal plus grand que la négation directe de toutes
les valeurs traditionnelles, car la plus grande perversion consiste à
faire asservir le grand par l’insignifiant.
En fait, le « Sud pauvre » est « pauvre » sur
le plan matériel précisément du fait de son attitude
spirituelle, donnant toujours aux aspects matériels de l’existence
une place mineure et sans importance. Le Sud géopolitique
à notre époque a généralement préservé
une attitude exclusivement traditionnelle envers les objets du monde extérieur
– une attitude sereine, détachée et finalement, indifférente
– en violent contraste avec l’obsession matérielle du «
Nord riche », avec sa paranoïa matérialiste et hédoniste.
Les hommes du « Sud pauvre » vivent normalement dans la Tradition,
et jusqu’à maintenant leurs existences sont plus remplies, plus
profondes et même plus belles, car la participation active à
la Tradition sacrée confère à tous les aspects de
leurs vies personnelles ce sens, cette intensité, cette saturation
dont ont été privés depuis longtemps les représentants
du « Nord riche », rendus hystériques par les névroses,
les craintes matérielles, la solitude intérieure, l’inutilité
complète de l’existence, ne représentant qu’un kaléidoscope
de verre brillant, une image creuse.
On pourrait dire que la corrélation entre le Nord et le Sud aux
temps des origines était polairement l’inverse de leur corrélation
à notre époque, puisque aujourd’hui c’est le Sud qui
préserve encore quelques liens avec la Tradition, alors que le Nord
les a définitivement perdus. Cependant, cette affirmation ne couvre
pas absolument toute l’image de la réalité, car la
véritable Tradition ne peut pas reconnaître une relation si
humiliante, semblable à celle que pratique le « Nord riche
» agressif et athée avec le « Tiers-Monde ». Le
fait est que la Tradition est préservée dans le Sud seulement
d’une manière inertielle, fragmentaire, partielle. Elle se
tient dans une position passive et résiste, ne faisant que se défendre.
Donc le Nord spirituel ne se transfère pas pleinement dans le Sud
à la fin des temps – dans le Sud il y a seulement une accumulation
et une préservation d’impulsions spirituelles, jamais couplées
avec le Nord sacré. Sur le plan du principe, l’initiative traditionnelle
active ne peut pas émaner du Sud. Et au contraire, le « Nord
riche » mondialiste a ainsi réussi à renforcer son
action pernicieuse sur la planète grâce à la spécificité
des régions nordiques, prédisposées à
l'activité. Le Nord était et reste le lieu d’élection
de la force, par conséquent la véritable efficacité
relève de l’initiative géopolitique venant du Nord.
Le « Sud pauvre » possède aujourd’hui toute la priorité
spirituelle sur le « Nord riche », mais il ne peut donc pas
être une alternative sérieuse à l’agression profane
du « Nord riche », ni offrir le projet géopolitique
radical capable de subvertir l’image pathologique de l’espace planétaire
moderne.
Le rôle du « Second Monde »
Dans l’image géopolitique bipolaire « Nord riche » /
« Sud pauvre » a toujours existé une composante additionnelle
ayant une signification indépendante et très importante :
c’est le « Second Monde ». Par l’expression « Second
Monde » on désignait conventionnellement le camp socialiste
intégré dans le système soviétique. Ce «
Second Monde » n’était ni l’actuel « Nord riche »,
puisque des motifs spirituels précis influençaient secrètement
l’idéologie nominalement matérialiste du socialisme soviétique,
ni l’actuel « Tiers-Monde », puisque globalement l’attitude
tournée vers le développement matériel, le «
progrès » et d’autres principes purement profanes se trouvait
à la racine du système soviétique. L’URSS géopolitiquement
eurasiatique était localisée à la fois sur les territoires
de « l’Asie pauvre », et sur les terres de l’Europe relativement
civilisée. Durant la période socialiste, la ceinture planétaire
du « Nord riche » fut brisée en Eurasie orientale, brouillant
la clarté des relations géopolitiques sur l’axe Nord-Sud.
La fin du « Second Monde » en tant que civilisation particulière
laisse à l’espace eurasiatique de l’ex-URSS deux possibilités
: soit d’être intégré dans le « Nord riche »
(c’est-à-dire l’Occident et les Etats-Unis), soit d’être rejeté
vers le « Sud pauvre », c’est-à-dire de se transformer
en « Tiers-Monde ». Comme variante de comprom